Depuis que nos instances gouvernementales osent enfin prononcer tabou qu’est le mot « crise », on voit fleurir de toute part des offres de formation spécifiques.
On peut citer quelques exemples glanés ici ou là :
« Manager en période de crise : mode d’emploi », « Manager en situation de crise », « Etre à l’aise en situation de stress », « Communiquer avec aisance en situation difficile », « Savoir Gérer les Crises : Management et Communication », « Stage commando » pour futurs dirigeants, « Crise : solutions pour les Managers »
« Communication de crise », « Gestion de crise », « Développez vos capacités opérationnelles dans la conduite et gestion des situations de crise », …
A croire que la crise pourra profiter à certains ; ce qui ne faisait, on le sait tous, aucun doute.
Tout est bon aujourd’hui pour faire de l’argent. Tout événement, catastrophe ou problème est transformé en opportunité commerciale. Tout est exploité par les professionnels du marketing et transformé en argument commercial.
Il en est déjà ainsi avec le développement durable, l’écologie et l’agriculture biologique. Ces domaines, qui devrait, d’abord et avant tout reposer sur des valeurs et sur des convictions fortement ancrées et sincères sont dévoyés pour vendre mieux et surtout, vendre plus.
Pour en revenir aux formations management et à la crise, la question qui se pose aux commanditaires (DRH, Responsables de formation et managers eux-mêmes), est la suivante :
« Doit-on manager différemment en temps de crise ? »
En d’autres termes, le fait qu’il y ait crise implique-t-il de changer son mode de management ?
En étant plus provocatrice encore, la crise nécessite-t-elle de former les managers à des programmes spécifiques de management ?
J’ai tendance à penser que NON. Pourquoi ?
1) A y regarder de près, les programmes soi-disant créés pour répondre à la crise ne sont pas si différents de ceux qu’on pourrait qualifier de classique.
2) Il serait illusoire de penser qu’en une journée, en deux jours, voire en 5 jours, on puisse supprimer ou même atténuer les effets dus à une crise profonde, mondiale et systémique.
3) Il faut arrêter de faire peser sur les épaules des cadres, la responsabilité des déboires de nos entreprises. Leur donne-t-on seulement les moyens pour répondre de façon efficace à la crise ? Sont-ils seulement associés aux décisions stratégiques qui orientent à moyen et long terme l’avenir de leur entreprise ? Ou ne sont-ils finalement que des fusibles que l’on fait sauter pour mieux occulter les responsabilités réelles, se poser enfin les bonnes questions et accepter de réinterroger vraiment les dérives constatées d’un capitalisme devenu sauvage ?
4) Si changement il doit y avoir, il doit être décidé, impulsé et accompagné de l’intérieur c’est-à-dire de l’entreprise. S’en remettre à des consultants ou à des formateurs extérieurs pour se donner bonne conscience n’a jamais suffit et ne suffira plus aujourd’hui. L’ensemble de l’encadrement doit recouvrer son pouvoir de décision et avoir le courage de refuser d’être la main qui exécute des ordres occultes assénés par des actionnaires sans scrupule, dont le seul but est d’augmenter leurs dividendes, de s’enrichir au détriment des salariés, véritable richesse des entreprises.
5) Former des cadres à des formations « spécial crise », c’est rester dans une logique du « toujours plus ». Or, comme l’on démontré les systémiciens, un changement de type II n’est possible que si l’on change de système logique.
Si nous illustrons notre propos à travers l’analogie suivante :
Pousser le moteur d’une voiture en 1ère sans changer de vitesse, cela va inévitablement conduire à le faire exploser. Il est important de savoir au bon moment, changer de régime et passer en seconde.
De même, faire plus de la même chose, former plus au management, risque d’entraîner une surchauffe du système, ce que, par ailleurs, on constate malheureusement déjà, à travers certains événements récents (suicides sur le poste de travail, dégradation de matériel, augmentation significative des symptômes liés au stress, séquestration de cadres, …).
Après avoir joué les Cassandre, il serait légitime que je sois à mon tour interpelée en tant que consultante et formatrice, sur mon positionnement dans cette période de turbulences.
– Les demandes des entreprises ont-elles changé ?
Ma réponse ne peut être que partielle. Cependant, je peux dire que j’ai été sollicité par des entreprises qui soit, subissent la crise de plein fouet, soit ont déjà décidé de saisir l’occasion qui leur es offerte pour repenser le travail. Ces demandes restent, à ce jour, marginales mais il est probable que dans les mois qui viennent, les choses s’accélèrent et dans ce cas, j’y consacrerais un nouvel article.
– Ai-je modifié mon offre de service ? Oui et non.
Je n’ai pas, par anticipation ou même par calcul, construit une offre « spécial crise » pour les raisons précitées. Néanmoins, je suis en veille et reste attentive aux besoins des entreprises. Ainsi, je me suis formée auprès de l’Université de Liège à l’utilisation du Woccq, dans le but de conduire des projets de prévention ou de réduction du stress. Je constate à ce jour, que peu d’entreprises s’en sont saisi. La logique de rentabilité à court terme les amène encore trop souvent à renoncer à se lancer dans une démarche de prévention. L’action n’est engagée qu’à partir du moment où un incident majeur relayé par les média vient ternir leur image. Dans ce cas, les consultants, psychologues, … sont dépêchés sur place pour jouer les pompiers de service.
Pour conclure, ce que la crise l’apporte, c’est une réaffirmation de ce en quoi je crois :
– Inscrire l’homme au cœur de l’organisation,
– Travailler sur un mode coopératif,
– Favoriser l’autonomie et la responsabilisation,
– Solliciter l’énergie créatrice pour innover.
Ces valeurs qualifiées avec mépris pour certains de ringardes, d’utopistes voire de contre-productives reviennent au goût du jour. Elles sont brandies par les victimes de la crise et parfois même par ses instigateurs – sans doute de façon opportuniste.
Alors, oui, je veux bien « surfer » sur cette vague-là, en espérant qu’elle ne soit pas une énième éclaboussure mais plutôt une lame de fond qui nous réinscrira enfin dans un 3e millénaire flamboyant et prospère et dont nous sortirons tous grandis.
Mariette Strub
Excellente réflexion, que l’on peut pousser plus loin. C’est ce que j’esquisse dans mon blog en posant la question : faut-il changer le management ? Blog de Brise : blog.editionsdudesir.com
Je suis convaincue par la pratique que la crise abordée de façon pragmatique permet d'évoluer simplement. Elle est porteuse de l'information essentielle qu'il y a quelque chose à changer.Le tout est de pouvoir accueillir ça avec sécurité et d'avoir un mode de gouvernance (www.holacracie.com) qui permet de répondre de façon agile et adaptée et ce, quelque soit le rôle qu'on assure dans l'organisation.