Le bonheur au travail est-il possible et souhaitable ?
C’est en tout cas, ce que défend et ce que démontre Henry Stewart, dans son livre « The Happy Manifesto », paru au Royaume-Uni, en 2012, chez Kogan Page.
Henry Stewart a créé la société Happy Computers il y a 20 ans. Il est aujourd’hui CEO de Happy Ltd, une société qui dispense des formations.
Henry Stewart a été nommé en 2011, l’un des 50 plus influents penseurs de l’entreprise, au monde.
Son entreprise, Happy, a également reçu de nombreuses distinctions :
– Elle fait partie des 20 meilleures entreprises où il fait bon travailler et ce, depuis 5 années consécutives.
– Elle est reconnue comme la meilleure entreprise au Royaume-Uni en ce qui concerne le service client, l’équilibre vie professionnelle et vie privée et la promotion de la santé de ses salariés et du bien-être.
Les 10 clés du « Happy Manifesto »
Ce manifeste tient en 10 points, qui semblent frappés au coin du bon sens. Pourtant, ils ne sont pas si faciles à appliquer car ils mettent en question le rôle des managers et peut-être plus profondément encore, ils interrogent les rapports humains et donc les rapports de pouvoir, au sein des entreprises. Cela explique probablement la réticence de certains responsables et entrepreneurs à se lancer dans l’aventure du bonheur au travail.
L’argument qui achèvera, je l’espère, de convaincre les plus sceptiques est le suivant : de nombreuses études ont montré que les entreprises où il fait bon travailler sont celles dont les performances commerciales sont les meilleures.
1- Permettez aux personnes de donner le meilleur d’elles-mêmes au travail
Il a été démontré que les personnes travaillent au meilleur d’elles-mêmes lorsqu’on leur fait confiance et qu’on leur donne la liberté de mener à bien leur travail, de la façon qui leur convient.
Ainsi, un bon manager est un manager qui fait confiance à ses équipes et qui permet à chacun de décider comment réaliser le travail.
Plutôt que de demander que chaque initiative, idée ou proposition nouvelle soit approuvées par vos soins, donnez votre approbation à priori. Assurez-vous néanmoins qu’ils disposent des informations nécessaires, qu’ils sachent à qui s’adresser et qu’ils aient les ressources pour être sûr que leur solution sera appropriée.
Ce mode de fonctionnement permettra l’émergence de nouvelles idées, nouveaux produits, nouvelles façons de faire.
Mais cela ne suffit pas. L’innovation naît, le plus souvent, au sein d’entreprises dont la culture permet la désobéissance.
Cette nouvelle façon de voir crée chez les managers du désarroi, de l’inquiétude voire de l’incompréhension.
En effet, ils sont nombreux à croire qu’ils ont été choisis parce qu’ils sont plus intelligents que les autres. Ils présument qu’une part importante de leur job consiste à trouver de meilleures façons de travailler, ce qui leur apporte beaucoup de stress.
Une autre façon de voir les choses – bien moins stressante pour le manager – consiste à se concentrer sur le soutien et l’aide à apporter à son équipe afin qu’elle prenne les meilleures décisions.
2- Faites en sorte que les personnes se sentent bien
Les personnes travaillent mieux lorsqu’elles vont bien. Ainsi, le rôle central du management devrait être de créer un environnement de travail dans lequel les gens se sentent bien et sont heureux. Le rôle des managers sera donc désormais de coacher et de soutenir ses collaborateurs.
Pour bien traiter ses salariés, l’entreprise doit passer par différentes étapes :
– Elle doit avoir une bonne opinion de ses salariés et être convaincue que chacun fait (ou cherche à faire) du mieux qu’il peut
– Il doit y avoir de suffisamment bonnes relations entre les membres du personnel et les managers pour prendre des mesures exceptionnelles
– L’entreprise doit être préparée, lorsque la situation l’exige, à prendre des mesures exceptionnelles, même si elles sont en dehors des règles internes
Il apparaît également qu’il vaut mieux préférer les systèmes, aux règles.
Une règle doit être respectée. On lui obéit et pour cela, le jugement est suspendu.
Un système est la meilleure façon que l’on a trouvée pour faire quelque chose. Si une personne de l’entreprise pense à une meilleure façon de travailler dans sa situation, elle sera encouragée et on attendra d’elle qu’elle adapte le système.
3- Donnez des directives claires à l’intérieur desquelles la liberté sera de mise
Les personnes ont besoin de savoir ce qu’on attend d’eux. Ces objectifs s’inscriront dans le cadre de principes directeurs clairs et acceptés. Mais, ils ont aussi besoin de soutien, de feedback régulier et de liberté pour « faire du bon boulot ».
Le management prôné ici est celui qui favorise la responsabilisation et permet l’engagement de chacun.
4- Soyez ouvert et transparent
La transparence doit être totale à l’exception des questions personnelles ou disciplinaires. Ainsi chez Happy, les informations financières concernant l’entreprise, les salaires sont connus de tous. Ainsi, les salariés sont parfaitement conscients des coûts et plus responsables.
La transparence sur les salaires oblige à une plus grande équité.
Il est important de partager les bonnes nouvelles concernant les performances de l’entreprise mais aussi les plus mauvaises.
5- Recrutez sur les attitudes et formez sur les compétences techniques
Les processus de recrutement sont largement discutables lorsqu’ils se limitent à demander au candidat de parler de ses compétences, de ses expériences et de ses réalisations. Ce n‘est, en aucun cas, la garantie qu’il sait correctement travailler. Il y a ainsi toujours un décalage entre le « dire » et le « faire ». Pour évaluer la capacité d’un candidat à réaliser la mission qui lui sera confiée dans l’entreprise, le mieux est de lui proposer une mise en situation réelle.
Tom Peters disait ainsi « recruter sur l’attitude, former sur les compétences ».
L’entreprise devra donc définir les savoir-être attendus pour intégrer son entreprise.
Par ailleurs, la tendance à recruter en fonction des diplômes n’est pas, non plus, des plus efficaces. Du reste, de nombreux professionnels se plaignent que les diplômes ne préparent pas au travail ni ne permettent de tester les compétences attendues.
Un dernier conseil pour réussir ses recrutements : impliquer le maximum de personnes dans le processus de recrutement telles que le futur manager et les futurs collègues et décider dans la collégialité. Cette manière de procéder limite considérablement les « erreurs de casting », mais surtout, elle permet que chacun s’engage largement à contribuer à la réussite de l’intégration du nouvel arrivant.
Henry Stewart déplore que dans de nombreuses organisations, se trouvent des talents et des compétences non connues et par conséquent, inexploitées. Il recommande donc vivement de trouver le potentiel de ses collaborateurs et tout particulièrement de ceux qui se trouvent en bas de l’échelle des salaires.
Il conseille enfin de soigner tout particulièrement le traitement réservé aux personnes qui quittent l’entreprise. Elles doivent conserver une bonne image de l’entreprise et maintenir une bonne estime d’elle-même.
6- Célébrez les erreurs
Il est essentiel de créer une véritable culture du non-reproche : accepter et encourager les erreurs dans un contexte exempt de danger.
De la sorte, lorsqu’une personne fera une erreur, elle la reconnaîtra aisément en en endossant la responsabilité. Dans ce cas, il est probable que la réparation en sera facilitée si les choses sont prises à temps.
De plus, la liberté de se tromper autorise chacun à sortir de sa zone de confort et à oser de nouvelles choses. Nous savons que les plus grandes innovations sont issues d’erreur : la pénicilline, le pacemaker, le pneu, l’ampoule électrique, …
Accepter l’erreur ouvre la voie de l’expérimentation, de la création et de l’apprentissage.
Néanmoins, l’entreprise aura intérêt à mettre en place un système pour pister et résoudre les problèmes de façon continue.
7- Société civile : créez des bénéfices mutuels
Pour l’auteur, les profits sont certes importants et nécessaires mais pas suffisants. Donner du sens et avoir un impact positif sur le monde est fondamental. Toute entreprise devrait mettre au cœur de ses décisions des valeurs éthiques.
8- Aimez le travail, ayez une vie
Travailler tard est rarement un signe d’engagement. Il s’agirait plutôt d’un signe de mauvaise organisation personnelle, de trop de réunions ou d’activités inutiles. Par ailleurs, plus le nombre d’heures travaillées est élevé moins on est efficace. Travailler trop et être stressé ne conduit jamais à de bonnes interactions commerciales, à un service de qualité ou à de bonnes décisions.
Il est important d’avoir une organisation qui s’adapte aux besoins de ses salariés plutôt que d’imposer les horaires et les jours de travail.
Prendre du temps pour soi est salutaire et participe de son propre accomplissement.
9- Sélectionnez les managers qui sont bons en management
Il est coutume dans les entreprises de nommer à des postes de management, les personnes expertes dans leur domaine technique. Or, être expert ne prédestine pas à être une personne qui sait apporter du soutien et du coaching, c’est-à-dire, à être manager. Il est donc essentiel de choisir ses managers sur la base de leur potentiel ou de leurs capacités à manager. On construit ainsi sur les points forts des personnes. De même, il est attendu d’un manager qu’il s’appuie sur les points forts de ses collaborateurs plutôt que de travailler sur leurs points faibles.
Autre constat dans nombre d’entreprises : l’évolution de carrière passe le plus souvent par la case management. Or, on vient de voir que tout le monde ne sait pas ou ne veut pas le devenir. Doit-on alors prendre le risque de perdre de précieux talents ou ne serait-il pas nécessaire de trouver une alternative. Des solutions doivent être trouvées pour le management ne soit pas la seule voie de promotion.
Ainsi, chez Happy, ils distinguent deux rôles de managers :
– Le rôle A est tenu pas des responsable de département dont la mission consiste à avoir une vue d’ensemble et à prendre des décisions stratégiques.
– Le rôle B est un rôle de coordinateur, chargé d’apporter le soutien, le coaching et la stimulation.
Dans d’autres entreprises comme à la Lufthansa, deux options s’offrent aux salariés dans le cadre des évolutions internes : une carrière managériale ou une carrière d’expert.
Par ailleurs, l’auteur recommande – ce qui est difficile dans des organisations hiérarchiques traditionnelles – que les salariés puissent choisir leur manager et en changer lorsqu’ils ne s’entendent pas avec lui. Pour cela, chez Happy, le rôle de coordinateur est situé en dehors de la ligne hiérarchique.
10- Exploitez vos points forts
Le chef d’entreprise, le manager aura intérêt à s’assurer que ses salariés passent l’essentiel de leur temps de travail à faire ce à quoi ils sont les meilleurs. La réussite est là.
Pour conclure, rappelons qu’il y a plus de 50 ans, Douglas McGregor présentait dans son livre « The human side of enterprise » paru aux éditions Penguin Books en 1960, les théories X et Y, deux approches opposées du management des hommes.
Selon la Théorie X, les personnes seraient intrinsèquement paresseuses et éviteraient le travail. Cette vision de l’homme conduit à un management très directif, basé sur le contrôle et une grande directivité.
A l’inverse, la Théorie Y croit que les personnes sont auto-motivées et veulent accomplir un bon travail. Elles veulent apprendre, évoluer et avoir des responsabilités.
Cet ensemble de croyances conduit à un certain style de management, tel que celui décrit dans ce livre.
On sait aujourd’hui les dommages causés par les formes traditionnelles de management : une motivation en berne, une innovation au point mort, une productivité minimale, plus d’absentéisme et de turnover.
Prenons exemple sur les entreprises pour qui l’humain est un atout majeur et central et qui ont à cœur de créer un lieu de travail sympa et agréable.
Mariette Strub