Les entreprises sont souvent promptes à proposer à leurs salariés des formations ludiques.
Ceci, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il faut savoir que la formation professionnelle continue (FPC) est une vielle dame puisqu’elle fut instaurée en France avec la loi du 16 juillet 1971. Au fil des années, la FPC s’est démarquée de la formation initiale en inscrivant ses actions dans le droit fil des méthodes actives ; l’accent étant mis sur les compétences (ou savoir-faire) plutôt que sur les seules connaissances. De plus, la démocratisation de la FPC et l’évolution liée aux nouvelles technologies, ont conduit à une évolution de l’offre formation qui se devait de répondre aux exigences de commanditaires et d’apprenants de plus en plus exigeants. Aujourd’hui, les formations doivent être courtes, impactantes, originales et procurer des prises de conscience et des émotions fortes. Il s’agit de vivre une expérience individuelle ou collective mémorable. Elles sont tout particulièrement adaptés à la génération des Millennials, ces jeunes nés entre 1980 et 2000.
Ainsi, les formations dites ludiques permettent de répondre à ces nouveaux besoins.
Quelle est l’origine de la pédagogie ludique ?
Les formations dites « ludiques » font appel à des approches pédagogiques qui s’inscrivent dans le vaste ensemble de la pédagogie active.
Elle s’inspire d’Adolphe Ferrière (1879-1960), pédagogue suisse, un des fondateurs de l’Education nouvelle qui a été parmi les premiers à utiliser le terme d’école active. La pédagogie active repose sur le fait que l’apprenant doit être acteur de ses apprentissages.
Elle désigne un ensemble de méthodes pédagogiques qui ont en commun la volonté de rendre l’apprenant acteur de ses apprentissages. Ce type de pédagogie part du principe que c’est en faisant que l’on apprend, à l’inverse de la pédagogie traditionnelle qui part de la théorie pour aller vers la pratique. Elle privilégie les situations authentiques de recherche, d’investigation.
Quels en sont les postulats ?
- L’apprentissage doit être expérientiel : On apprend par l’expérience pratique, pas seulement dans un contexte académique.
- L’apprentissage doit être collaboratif : On apprend mieux avec les autres.
- L’Apprentissage doit être problématisé : On apprend mieux quand on rencontre un problème particulier.
- L’apprentissage doit être signifiant: On apprend mieux quand on est impliqué dans un projet particulier.
Trois catégories de jeu
Nicole de Grandmont dans « Pédagogie du jeu : jouer pour apprendre » distingue trois catégories de jeu.
1/ Le jeu ludique
Plein de joie et de plaisir, il est un acte gratuit et spontané qui fait appel à l’imaginaire, au merveilleux et favorise la créativité. Les règles évoluent selon les volontés du joueur, elles ne sont pas imposées, et il n’y a pas de limite de temps ni d’espace. Le jeu ludique est guidé par les désirs intrinsèques du sujet. De plus, le joueur est motivé par un besoin intense d’explorer son être, une grande envie de découverte, sans buts à atteindre, sans performances particulières, sans modèles à imiter.
2/ Le jeu pédagogique
Il s’agit d’une activité qui garde la richesse du jeu, à l’exception du fait que ce n’est plus une activité libre : le choix de jouer est imposé. Le jeu pédagogique est orienté vers des formes de réussite, de performance : il est donc proche de l’exercice car il est utilisé en vue de développer des connaissances ou des compétences, le but du jeu est un objectif clairement identifié. Le jeu pédagogique est un jeu où le plaisir intrinsèque est rapidement orienté vers des formes de réussites qu’on peut nommer performances. Ainsi, selon elle, dans le jeu pédagogique, le plaisir correspond à l’équation : Travail = Plaisir. Le jeu pédagogique est donc un jeu proche d’un exercice tendant à connaître les acquis du joueur.
3/ Le jeu éducatif
Le jeu dit éducatif a, comme son nom l’indique, une valeur éducative, mais il reste désintéressé. Le joueur, ici, est libre de le choisir ou de ne pas le choisir. Ce sont des jeux de type puzzles ou jeux de construction par exemple. Ils permettent de développer des compétences en réduisant l’effort d’apprendre, ou en le rendant moins perceptible par l’enfant, l’aspect éducatif y étant généralement caché. Le jeu éducatif serait donc un juste milieu entre jeu « pur » et travail « pur ».
Qu’en est-il du jeu en entreprise ?
C’est de jeu pédagogique dont il est question en entreprise. Dans le cadre de la formation professionnelle continue, on parlait déjà il y a 20 ans, de jeux d’entreprises, de business games et de jeux pédagogiques. Aujourd’hui, il y a les serious games et on parle de gamification ou de ludification. Il s’agit de transposer les mécanismes du jeu dans le cadre de la formation et ce, quel que soit le type de jeu utilisé. Le procédé reste donc le même, bien que la terminologie ait changé.
L’ensemble de ces pédagogies peut se regrouper sous le terme de Pédagogies de détour®. Ce terme, issu des sciences de l’éducation et utilisé depuis une quinzaine d’années en milieu scolaire, désigne toute démarche qui entend contourner les obstacles cognitifs, en travaillant sur les représentations, en proposant des activités alternatives au cours traditionnel.
Ainsi, comme le souligne le proverbe japonais : « Si tu es pressé, fais un détour ! »
Il existe 4 types de détour. Pour vous permettre d’en distinguer les spécificités, je vous propose quelques exemples issus de ma pratique de formatrice et coach en entreprise.
1/ Le décalage
Le participant fait un pas de côté pour voir la réalité par analogie.
Exemples :
- Le jeu du village imaginaire. Il s’agit de construire son village imaginaire (seul ou en équipe) pour appréhender son mode de fonctionnement (processus à l’œuvre, ressources, besoins, rêves, difficultés, …).
- Le synergomètre©. Dispositif pédagogique (approche méthodologique et outil) dont la finalité est d’apprendre à coopérer.
2/ Le recul
Le participant fait un pas en arrière pour voir la réalité de plus loin.
Exemple :Le recours à l’écriture. Une équipe, en proie avec des difficultés relationnelles, écrit à plusieurs mains et sous formes de scénettes, les conflits vécues en son sein. Puis, les scénettes sont lues puis jouées afin d’en observer la portée et d’y apporter des ouvertures résolutives.
3/ La rencontre
Le participant fait un pas vers l’autre pour voir les autres facettes de la réalité.
Exemple : Un participant-manager joue le rôle d’un de ses collaborateurs dans le cadre d’une situation professionnelle qu’il redoute afin de ressentir et de découvrir le mode de pensée d’un artiste en observant une œuvre.
4/ La confrontation
Le participant va vers l’autre jusqu’à le toucher ou être touché pour faire naître de nouvelles idées ou une nouvelle réalité, plus riche.
Exemple : Les participants à une formation au management expérimentent à deux et successivement, les rôles de guide et d’aveugle et prennent ainsi conscience de la spécificité de leur approche de management (points forts et limites) mais aussi de la variété des possibles.
Certaines stratégies combinent plusieurs de ces approches au cours d’étapes différentes.
De même, nous pouvons distinguer :
4 catégories de jeux pédagogiques
1/ Les jeux et Parcours ludiques®
Ils représentent le groupe le plus diversifié car il existe de nombreux mécanismes de jeux, adaptés les uns plutôt à des objectifs d’apprentissage, les autres à des fins plus comportementales. Les jeux ont été conçus ou non pour la formation, ils peuvent se présenter avec ou sans matériel, utiliser ou non les nouvelles technologies, avoir une durée qui va de quelques minutes à plusieurs jours.
Dans le Parcours ludique®, au fil d’un scénario de type, par exemple, historique, policier, science-fictionnel, merveilleux, plusieurs mécanismes ludiques sont combinés selon les étapes pour aborder les différentes facettes d’un sujet ou opérer une progression pédagogique au cours de l’ensemble du programme.
2/ Le théâtre, le jeu de rôle, l’improvisation
Les techniques employées sont plus ou moins interactives ; elles vont de la représentation théâtrale effectuée par des professionnels comme point de départ à une réflexion ou une formation, au théâtre-action et au théâtre-forum où les participants interviennent après une première partie assurée par des comédiens. Il existe aussi du théâtre de formation ; dans cette formule, les stagiaires sont sollicités et utilisent des techniques issues de l’entraînement des comédiens pour gagner de l’aisance en public, …
Le jeu de rôles comporte aussi plusieurs variantes qui présentent des intérêts pédagogiques différents : jeu de rôles direct, analogique ou jeu de jeu de rôles, ce dernier proposant des univers imaginaires alors que les deux premiers restent dans des mondes proches de celui dans lequel se situe la problématique traitée.
3/ La pédagogie expérientielle
Il s’agit ici d’“apprendre par l’expérience”. L’expérience est facteur d’apprentissage et de développement de la professionnalisation. Les activités les plus connues de cette catégorie sont de type hors limite, horse coaching, expérience dans la nature ou sur un bateau, mais peuvent aussi comprendre des énigmes à résoudre dans des cadres divers.
Elles vont du concret vers l’abstrait, proposent une expérience apprenante, invitant les participants à relever un défi, résoudre un problème réel, se mettre en situation, le plus souvent dans un milieu naturel. D’expérience en expérience, on se développe par une action de métacognition.
4/ Les pédagogies métaphoriques utilisant un média non conventionnel
Les pédagogies métaphoriques utilisant un média non conventionnel postulent le travail en lien avec un spécialiste, (musicien, clown, plasticien, œnologue, spécialiste de l’équitation, du sport, du hors-limite, …).
Elles sont proches de la pédagogie expérientielle, puisqu’il va s’agir, dans les deux cas, de transformer son vécu d’une expérience en savoir et en réflexion sur soi et sur le contexte ; mais, ici, une place plus importante est laissée à la transmission du savoir par le spécialiste de l’activité retenue.
Quels sont les points communs de toutes ces méthodes ?
- Il s’agit toujours de se décaler pour mieux évoluer.
- Les pédagogies du détour impliquent l’existence d’un médium, physique ou non, qui permet de ne pas aborder la problématique “de front”.
- Elles supposent aussi l’intervention d’un ou plusieurs tiers, qui ont imaginé le processus, l’ont intégré à un programme, l’animent et en effectuent le débriefing.
- Elles postulent le déplacement par rapport au thème traité, qui n’est pas abordé de front.
- Elles sollicitent la personne dans sa globalité, physique, intellectuelle, émotionnelle.
- Elles proposent également un défi à relever et offrent au participant la possibilité d’apprendre de ses erreurs.
- Enfin, elles créent un temps et un espace gratuits, donc sans risque, comme dans le jeu de société, pour aider à faire comprendre, à découvrir une compétence, à oser l’utiliser, à se mettre à la place de l’autre pour changer son point de vue.
Quels sont les avantages à utiliser les pédagogies ludiques ?
- Le jeu est facteur d’engagement et de motivation
Il est maintenant scientifiquement prouvé depuis plusieurs années que les dispositifs pédagogiques qui intègrent une approche ludique permettent de mieux favoriser l’engagement et la motivation des participants en formation.
L’apprentissage par le jeu va susciter chez la personne formée de la curiosité, de l’intérêt et du plaisir. Dès lors, il sera beaucoup plus facile pour le formateur de capter son attention et de la motiver. La motivation est liée aux différents mécanismes de jeu, qui peuvent fonctionner plus ou moins bien en fonction des profils et des personnalités des apprenants. L’idéal est de mixer ces mécanismes pour s’assurer que tous les participants trouvent leur compte.
Voici les différents mécanismes de jeu existants :
- Le “faire semblant”, pour les jeux où le participant est amené à être quelqu’un d’autre (jeux de rôles, de mimes, intrigues, etc.),
- La compétition : il faut progresser, avancer… et gagner ! (Jeux de cartes, échecs, Scrabble, etc.),
- L’aléa, là où le hasard tient une place importante (pari, loterie, …),
- Le vertige, lorsqu’il faut prendre des risques et relever des défis.
2. Le jeu permet d’appréhender l’erreur
Le jeu permet de dédramatiser les situations d’échec, parce qu’elles n’ont, dans le contexte de la formation, aucune conséquence sur la vie réelle. Ainsi, le jeu est idéal pour évaluer le niveau de connaissance avant et après la formation, sans faire ressentir de pression au formé. On peut également l’utiliser lorsqu’on souhaite faire tester de nouvelles techniques aux apprenants. En effet, d’après le psychologue américain Jérôme Bruner : « Le jeu fournit l’occasion d’essayer des combinaisons de conduites, qui, sous des pressions fonctionnelles, ne seraient pas tentées ».
3. Le jeu permet de passer outre, les barrières de générations
Le jeu est une activité sociale partagée dans la majorité des sociétés humaines, et mêmes animales, et ce, depuis des milliers d’années. Face aux difficultés de collaboration entre les générations, une activité ludique permet de mettre tout le monde sur pied d’égalité. Plus spécifiquement, par rapport aux collaborateurs les plus jeunes, les formations ludiques seront perçues comme étant davantage dynamiques et impliquantes.
4. L’apprentissage par le jeu remet le participant au cœur de son apprentissage
Le formé devient acteur de sa propre formation. Avec le jeu, l’apprenant s’implique, il n’est plus passif : il doit faire face à des choix et doit participer. Lorsqu’il doit écouter le formateur qui déroule son explication, il y a de grands risques que l’apprenant s’ennuie et décroche. Lors d’un jeu, il doit intervenir régulièrement, ce qui le pousse à rester éveillé et alerte. Par ailleurs, le fait d’être actif facilite l’apprentissage et la mémorisation des contenus. Rappelons d’ailleurs les travaux du psychopédagogue Roger Mucchielli, qui a démontré qu’on ne se souvient que de 10% de ce qu’on lit, et de 20% de ce qu’on entend. En revanche, on se souvient de 90% de ce que l’on réalise soi-même.
Le formateur devient alors plutôt « animateur – facilitateur » et met en place les conditions pour favoriser l’apprentissage des participants. L’apprentissage devient social et collaboratif, ce qui permet aux participants de co-construire leurs propres compétences et de développer leurs capacités de travail en équipe.
Et nous savons bien à quel point cette compétence transversale relève d’une importance capitale dans le monde de l’entreprise à l’heure actuelle. Sans compter que la dynamique mise en place lors de la formation pourrait bien profiter également à l’ambiance générale et favoriser une meilleure productivité au sein des équipes de travail.
Ce qu’en disent les opposants ?
Bien que les approches ludiques soient, en général, plébiscitées, il y a de farouches opposants. Voici quelques-unes de leurs objections :
Le jeu crée trop de ruptures avec les autres apprentissages professionnels – du coup le jeu n’est pas une activité qui plait à tout le monde, le jeu infantilise et de nombreux adultes ne se retrouvent pas dans cette activité.
Le jeu n’apporte pas de solutions aux problèmes professionnels. Le jeu n’est pas une fin en soi et il n’apporte souvent pas de réponses à un problème professionnel.
Le transfert de l’apprentissage en situation professionnelle n’est pas favorisé car le jeu ne permet pas à l’apprenant de faire le lien avec son activité professionnelle. Le jeu simplifie trop la réalité.
Le jeu comprend des règles parfois difficilement compréhensibles. Les stagiaires sont parfois perdus face à l’énoncé de règles complexes, dont ils cherchent le sens et apparaît parfois l’objection suivante : “mais pourquoi nous faites-vous réaliser cette activité ?”
Pour en assurer le succès, je vous propose de lire : “Comment s’assurer de la réussite d’une intervention utilisant une approche ludique ?”
Mariette Strub
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