QU’EST-CE QUE LE STRESS ?

Le stress dans la sphère du travail est considéré comme une réponse du travailleur devant les exigences de la situation pour lesquelles il doute de disposer des ressources nécessaires et auxquelles il estime devoir faire face (De Keyser et Hansez, 1996).
Cela signifie que :
• le stress est un phénomène subjectif : il dépend de l’évaluation faite par le travailleur des contraintes de son environnement de travail ;
• le stress est lié au sentiment de contrôle qu’a le travailleur sur son environnement de travail.

QU’EST-CE QUE LE WOCCQ© ?

Prévenir les risques (psychosociaux ou autres), c’est d’abord bien les évaluer.

Le WOCCQ© (ou WOrking Conditions and Control Questionnaire) est un outil de diagnostic par questionnaires des risques psychosociaux liés au travail qui doit faciliter la mise en place d’une politique de prévention. Cet outil a été créé par le Service de Psychologie du Travail et des Entreprises de l’Université de Liège en Belgique (Prof. V. de Keyser).

Deux notions clés sont au coeur de la méthode : la subjectivité et le contrôle.

Par ailleurs, la méthode s’appuie sur trois modèles théoriques :

– Le « Modèle Transactionnel du Stress » de Mackay et Cooper (1987),
– Le « Modèle demande-contrôle » de Karasek et Theorell (1990),
– Le « Modèle structural du stress » d’I. Hansez (2001).

• La subjectivité

D’un point de vue conceptuel, et en concordance avec une perspective transactionnelle du stress (Lazarus & Folkman, 1984), la façon dont un individu évalue une situation de travail peut être plus importante pour son bien-être que la présence réelle du stresseur. Le caractère subjectif de la charge psychosociale (et du stress en particulier) et l’importance de l’évaluation que fait le travailleur des contraintes de son environnement s’imposent dans la littérature sur le sujet. Ainsi, le stress dans la sphère du travail peut se définir comme une réponse du travailleur devant des exigences de la situation pour lesquelles il doute de disposer des ressources nécessaires, et auxquelles il estime devoir faire face (De Keyser & Hansez, 1996).

• Le contrôle

La notion de perception de contrôle est centrale dans notre conception du processus de stress dans la mesure où elle est directement liée à l’évaluation subjective d’adéquation entre les aptitudes du travailleur et les ressources externes disponibles. On peut faire l’hypothèse que le sentiment de non-contrôlabilité des facteurs liés au travail va influencer la génération de stress.
En réponse à différentes critiques adressées aux échelles de contrôle existantes (échelles globales, mesures mal définies, validité des instruments), notre objectif a été de développer une échelle multidimensionnelle du contrôle de la situation de travail. Ainsi, six dimensions de contrôle ont été retenues : les ressources disponibles, la gestion de la tâche, les risques, la planification du travail, la gestion du temps et l’avenir. La validité de l’outil a été démontrée grâce à une analyse de Rasch et grâce à une étude de validité de construit.

QUELS SONT LES FONDEMENTS THÉORIQUES ?

1) Le « Modèle Transactionnel du Stress » de Mackay et Cooper

Il met l’accent sur les mécanismes psychologiques qui sous-tendent l’interaction de la personne avec son environnement. Il permet d’expliquer l’importance de la perception subjective des conditions de travail dans l’élaboration du phénomène de stress ainsi que les différences interindividuelles présentes dans la régulation des agents stresseurs.

Dans une première phase de perception, le travailleur va confronter les exigences internes (ex. : envie de bien travailler) et externes de la situation (ex. : réaliser un certain chiffre d’affaire) avec les ressources internes (ex. : connaissances et compétences du travailleur) et externes (ex. : moyens matériels) qui sont mises à sa disposition. L’évaluation cognitive (ou appraisal) de cette situation va lui permettre de détecter un éventuel déséquilibre : les demandes sont-elles plus importantes que les ressources ?
Cette phase permet de comprendre une première cause des différences interindividuelles, dans la mesure où, face à une même situation, les individus ne disposent pas nécessairement des mêmes ressources pour y faire face. Ceci est d’autant plus vrai que les mécanismes d’appraisal sont influencés par des facteurs individuels (ex. : croyances, engagements), mais également par des facteurs organisationnels (ex. : caractère prévisible ou non de la situation, son aspect répétitif) qui varient d’un individu à l’autre et/ou d’une situation à l’autre, mais qui varient également dans le temps (une même situation qui se reproduit à plusieurs reprises peut être appréhendée de façon différente par un même individu, en fonction de son expérience de la situation).

Dans une seconde phase, le travailleur va mettre en place des stratégies de coping (ou stratégies d’adaptation) qui sont, selon Lazarus et Folkman (1984) des efforts physiologiques, cognitifs et comportementaux en évolution constante et développés dans le but de maîtriser des demandes internes et/ou externes qui sont évaluées comme dépassant les ressources de l’individu.
Cette seconde phase nous permet également de concevoir des différences interindividuelles, cette fois dans le traitement des situations stressantes, dans la mesure où, face à un même déséquilibre, deux travailleurs ont la possibilité de mettre en place des stratégies de coping très différentes.

Les perspectives transactionnelles sont essentielles pour comprendre que le stress se construit au niveau individuel.
La question qui se pose est alors de savoir comment passer d’une dimension individuelle à une dimension collective du stress, pour mettre en place une intervention organisationnelle dans l’entreprise et une stratégie de prévention efficace.
Dans cette perspective, le concept de contrôle s’avère intéressant à étudier.

2) Le modèle « demande-contrôle » de Karasek et Theorell

En 1990, Karasek et Theorell proposent alors un modèle de stress au travail, le modèle « demande-contrôle ». Ils y définissent le stress comme étant la conséquence des situations dans lesquelles le travail requiert des exigences psychologiques élevées (demandes) alors que le travailleur ne dispose que d’un espace décisionnel limité de telle sorte qu’il ne contrôle pas la situation de travail (contrôle).
Ce modèle envisage le contrôle de la situation comme un modérateur entre les exigences de la situation et les réactions de stress. C’est donc le croisement des exigences et du contrôle qui détermine le degré de stress.
Par ailleurs, ce modèle a été doté d’une troisième dimension : le soutien social (le support informationnel, l’aide à l’accomplissement des tâches lors d’une surcharge, le support émotionnel et la guidance).

3) Le « Modèle structural du stress » d’I. Hansez

Ce modèle est issu des travaux de validation du questionnaire WOCCQ©. Il définit l’impact spécifique de chacune des six dimensions de contrôle sur le stress. Il est ainsi possible de dire que le stress peut être expliqué par un manque de contrôle sur une ou plusieurs dimensions de l’environnement de travail (les ressources disponibles, la gestion de la tâche, les risques, la planification du travail, la gestion du temps et l’avenir) dans des proportions allant de 40 à 60 %.
La stimulation positive, quant à elle, peut être expliqué par un manque de contrôle sur une ou plusieurs dimensions de l’environnement de travail (ou conditions de travail) à +/- 40 %.

QUELS SONT LES OUTILS D’INVESTIGATION ?

L’outil est composé de trois questionnaires de base, qui constituent ensemble le WOCCQPackage ©. Ils ont été testés et validés en français et en néerlandais sur différents échantillons de travailleurs belges et jouissent de grandes qualités psychométriques. Ces questionnaires sont :

Le SPPN© est un questionnaire qui mesure le niveau de stress et de stimulation positive ressentie subjectivement par les salariés au travail.

Le WOCCQ© à proprement parler (acronyme de WOrking Conditions and Control Questionnaire) est un questionnaire de 80 items qui font tous référence à des situations de travail concrètes. Il permet d’évaluer le niveau de contrôle sur 6 dimensions du travail (les ressources disponibles, la gestion de la tâche, les risques, la planification du travail, la gestion du temps, l’avenir).

Le Relevé des situations problèmes© est une question ouverte où le travailleur doit décrire 3 situations typiques de son travail qui sont sources de stress pour lui, et y associer un degré de stress et de fréquence.

COMMENT SONT TRAITÉES ET INTERPRÉTÉES LES DONNÉES ?

Le principe du traitement des données quantitatives (WOCCQ© et SPPN©) est d’identifier des différences significatives entre des groupes de travailleurs au sein de l’entreprise en termes de stress, de stimulation et de contrôle sur les conditions de travail.

L’interprétation des données est rendue possible grâce à un étalonnage (= graduation des résultats obtenus par un échantillon normatif) qui aboutit à l’élaboration de normes. Il est alors possible de déterminer la position relative d’un ou plusieurs individus par rapport à d’autres et donc de comparer les scores entre eux (scores T). Ainsi, un score situé entre 40 et 60, correspondra à un niveau (de stress, de stimulation ou de contrôle) considéré comme normal. En dessous de 40, on parlera d’un niveau (de stress, de stimulation ou de contrôle) faible, tandis qu’au dessus de 60, nous aurons affaire à un niveau (de stress, de stimulation ou de contrôle) élevé.

QUELLES SONT LES APPLICATIONS PRATIQUES ?

Les données récoltées à l’aide de cette méthode permettent d’expliquer un niveau élevé de stress par un manque de contrôle des travailleurs sur une ou plusieurs
dimensions de leur environnement de travail. Cet outil permet aussi de prévoir l’apparition probable de stress chez des sujets qui, bien que ne présentant pas un niveau de stress alarmant, sont confrontés à des conditions de travail médiocres. Cet outil est applicable à toutes les entreprises et permet d’orienter la mise en oeuvre d’une politique de lutte contre le stress, basée sur la réduction des agents stresseurs.
Dans un milieu donné, on pourra par exemple mettre en évidence un faible contrôle des plus jeunes sur les aspects de sécurité au travail par rapport aux seniors, ce qui peut en partie expliquer un stress plus élevé constaté chez les premiers. Une proposition d’intervention serait de proposer à l’entreprise de mettre en place une formule de tutorat des plus anciens vis-à-vis de leurs jeunes collègues sur les aspects de sécurité au travail.

QUELLE EST LA MÉTHODE POUR ACCOMPAGNER LA DÉMARCHE DE PRÉVENTION ?

Pour s’assurer de récolter un maximum de questionnaires et initier une démarche participative, il est utile d’adapter l’intervention et l’accompagnement aux particularités de l’entreprise ou de l’organisation étudiée. Pour ce faire, un Comité de Pilotage est créé dès le début de l’intervention. Il est généralement composé d’une dizaine de personnes : représentants de la direction, de la ligne hiérarchique, du personnel, du conseiller en prévention, du médecin du travail et de l’intervenant. Son rôle consiste à :

• déterminer les variables indépendantes appropriées, en fonction notamment des hypothèses relatives aux sources de stress et à leur localisation dans des groupes spécifiques de travailleurs ;
• définir la procédure de distribution et de récolte des questionnaires (par la poste ou par courrier interne, via des urnes, via des personnes-relais, …) ;
• mettre en place un plan de communication sur l’enquête (affiches, lettres, journal d’entreprise, intranet, …) ;
• déterminer la procédure de diffusion des résultats auprès du personnel ;
• apporter à l’intervenant leur connaissance interne de l’entreprise pour mieux comprendre les résultats.

Le Comité de pilotage est donc porteur du projet au sein de l’entreprise. Il doit notamment rassurer le personnel sur les garanties de confidentialité de la démarche. Il est toutefois évident que le Comité ne participe pas au dépouillement des questionnaires ni à l’analyse des données.

COMMENT SONT PRÉSENTÉS LES RÉSULTATS ?

Deux objectifs guident la présentation des résultats :

La mise en évidence de groupes à risques, qui présentent un niveau de stress plus élevé que les autres et/ou ont un moindre niveau de contrôle sur leurs conditions de travail. Ces groupes sont caractérisés par leur tranche d’âge, leur fonction, leur service, leur ancienneté, etc. On comprend donc que le choix des variables indépendantes définies par le Comité de Pilotage est crucial, puisqu’il détermine les types d’analyses qui vont pouvoir être effectuées. Afin de garantir la confidentialité des résultats, les analyses doivent idéalement porter sur des groupes de minimum 10 personnes ;

L’orientation vers des interventions primaires, c’est-à-dire des interventions destinée à réduire voire à supprimer les sources de stress. Elles peuvent porter sur les individus (ou les groupes) : elles ont alors pour objectif d’aider les employés à faire face de façon plus efficace au stress vécu ou à modifier l’évaluation qu’ils se font de la situation (Ex. : Formation, fournir des évolutions de carrière, promotion de la santé à travers un programme de fitness,…) ; ou bien être focalisées sur l’environnement de travail ou l’organisation : elles visent, dans ce cas, à améliorer la relation et l’adéquation entre le travailleur et son environnement de travail (Ex. : Augmenter l’autonomie du travailleur, modifier les horaires de travail, …

Les interventions de type secondaire s’adressent, quant à elles, aux employés qui manifestent déjà des signes de stress et portent sur la réduction des effets du stress (Ex. : Mise en place d’horaires spéciaux pour les travailleurs âgés, programme d’assistance post-traumatique, psychothérapie, …).

Pour conclure,
La durée d’une intervention préventive du stress à l’aide du WOCCQ© varie en fonction des contingences de l’entreprise et des négociations avec le Comité de pilotage. Néanmoins, on peut prévoir en moyenne un planning de 5 à 6 mois.

L’enjeu d’une démarche de prévention est bien sûr le passage du diagnostic à l’intervention. Il arrive parfois que les entreprises s’en tiennent simplement à la première étape en raison de freins temporels ou financiers, de résistances individuelles ou collectives, ou de changements organisationnels ou stratégiques.

Pour autant, plusieurs auteurs s’accordent pour dire que les interventions primaires ont un impact considérable et prolongé sur la réduction du stress.
De plus, une enquête réalisée par l’Université de Liège a permis d’identifier 13 facteurs facilitant ce passage :
– La communication en interne des résultats du diagnostic,
– La transmission appropriée de ces résultats,
– Le soutien et l’implication de la direction,
– L’implication de la ligne hiérarchique,
– Le choix d’une combinaison d’interventions centrées sur le travail et sur les travailleurs,
– La focalisation des interventions sur les conditions de travail,
– La mise en place d’interventions basées sur les résultats du diagnostic plutôt que des solutions toutes faites,
– L’utilisation d’une méthode par étapes (analyse des risques/diagnostic, planification des interventions, mise en place des interventions, évaluation),
– La constitution d’un comité de pilotage ou de suivi du projet,
– La mise en évidence à travers les résultats du diagnostic d’un niveau de stress élevé
– L’identification claire de groupes à risques,
– La correspondance entre les résultats du diagnostic et les réalités du terrain.

C’est la raison pour laquelle, j’encourage les entreprises à réfléchir à la question des risques psychosociaux qui outre des gains de productivité, permettra, en ces temps de difficultés économiques, d’améliorer les conditions de travail et ainsi de restaurer le lien de confiance et de remobiliser des salariés anxieux.

Mariette Strub

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