A l’heure où il est demandé aux managers de motiver leurs collaborateurs, se pose ou se repose la question des leviers motivationnels.
Nombre d‘entreprises rivalisent de créativité pour proposer à leurs salariés des dispositifs censés « booster » leur implication. D’autres, sont aujourd’hui résignés car elles ne disposent pas de tels moyens. Ainsi, un cadre à qui il était demandé « quels sont vos leviers pour motiver vos collaborateurs ? », répondre « mon enthousiasme » !!!
Or, nous savons tous et Jacques Nimier l’a rappelé clairement lors de sa conférence en décembre 2008 à l’Ecole de Management de Grenoble : la motivation externe est largement suffisante et son efficacité est loin d’être démontrée.
Il n’y a meilleure motivation que la motivation intrinsèque qu’il appelle d’ailleurs : investissement.

QU’EST-CE QUE LA MOTIVATION INTRINSÈQUE OU INVESTISSEMENT ?

La notion d’investissement peut se définir ainsi :

1) Investir quelqu’un ou quelque chose

Accorder du pouvoir, de l’importance ou de la valeur à quelqu’un ou à quelque chose qui à priori n’en a pas forcément. Cela rejoint ici la définition qu’on peut en donner en psychologie ; à savoir qu’investir c’est mettre sur une représentation une énergie psychique en vue d’en tirer quelque chose en retour.

2) Investir un château fort

Entourer et attaquer une forteresse pour y pénétrer et s’en emparer.

3) Investir en bourse

Mettre de l’argent sur une action en vue d’en gagner davantage que sa mise initiale.

En résumé, on peut dire que la représentation est à la base de la motivation. A cette représentation, vont se rattacher d’une part une énergie psychique, cognitive, émotionnelle et motrice et d’autre part, une attente en retour, sans doute à la hauteur de la quantité d’énergie déployée par la personne motivée.

Qu’est-ce qu’une représentation ?

Une représentation est une synthèse cognitive à la fois globale, cohérente, constante et stable. Elle résulte d’un processus de construction dans lequel vont se combiner et interagir nos perceptions du réel, nos acquis mnésiques et nos fantasmes, dans une boucle à la fois sélective (une partie des données est éliminée) et additive (le cerveau complète les informations sensorielles par des acquis cognitifs et mnésiques).
Les représentations sont ainsi au carrefour du passé et du présent, du réel et de l’imaginaire.

Au fond, dans la représentation et, par voie de conséquence, dans la motivation, il existe deux aspects, deux logiques, qui rentrent continuellement en interaction :

– Une logique rationnelle (symbolique, mathématique) : celle qui nous permet de communiquer avec autrui. Elle structure, limite, voire refoule l’imaginaire.

– Une logique de l’imaginaire (affectif) qui cherche à infiltrer, à déformer le rationnel, qui rapproche des éléments d’une manière inattendue et qui est source de création.

Dire que seule la motivation intrinsèque est réellement opérante revient-il pour les managers à renoncer à motiver leurs collaborateurs ?
Pas forcément.

Regardons toutefois comment les choses se passent le plus souvent dans les entreprises. En général, la motivation est stimulée de l’extérieur soit par des gratifications ou récompenses en réponse au mérite ou à la performance : la carotte ; soit par des réprimandes en cas d’échec ou de non atteinte des résultats : le bâton. Or, nous venons de voir que ce qui fait émerger la motivation, ce qui conduit une personne à s’investir dans une tâche ou dans un projet c’est d’abord la représentation qui y est attachée pour faire de cet objet d’investissement, un objet de désir.

La première chose à laquelle doit donc s’atteler le manager c’est faire émerger, comprendre et accepter la représentation que le collaborateur se fait de la tâche ou du projet qui lui est confié : Comment les perçoit-il, qu’en pense-t-il ? Qu’est-ce qu’il y associe comme images, affects, souvenirs, fantasmes, … ? Le recueil de cette information ne peut se faire que dans le cadre d’un échange ouvert, sincère et dénué de jugement. Le manager pourra alors identifier les leviers motivationnels de son collaborateur et le cas échéant, s’il en a les compétences et les moyens, réaménager la tâche, créer des conditions propices afin que le collaborateur accepte de s’y investir ou tenter de l’accompagner pour qu’il change ses représentations.
Grâce à cette investigation, le manager sera en mesure de repérer ce que le collaborateur attend de la réalisation de cette tâche ou mission (« retour sur investissement »).

La connaissance des domaines motivationnels peut constituer pour le manager une aide précieuse pour canaliser, structurer les propos du collaborateur et repérer ainsi les valeurs sous-jacentes.

Il pourrait, par exemple, s’appuyer sur la typologie de S.H. Schwartz et W. Bilsky.
(Source : d’après Schwartz S. et Bilsky W., Journal of Personality and Social Psychology, 1987).
Ces auteurs proposent onze domaines motivationnels auxquels sont affectées cinquante six valeurs ; Une valeur pouvant être affectée à plusieurs domaines motivationnels.

1) L’auto-orientation
– Définition : quête d’indépendance de pensée et d’autonomie d’action.
– Valeurs associées : la liberté, la créativité, l’indépendance, le choix de ses propres buts, la curiosité, le respect de soi, l’intelligence.

2) La stimulation
– Définition : quête de nouveauté, de défis, d’expériences nouvelles, d’émotions.
– Valeurs associées: une vie excitante, une vie variée, l’audace, la curiosité.

3) L’hédonisme
– Définition : quête de plaisirs et de gratifications personnelles.
– Valeurs associées: le plaisir, la jouissance (profiter de la vie), être en bonne santé.

4) L’accomplissement
– Définition : quête de succès personnel en démontrant ses compétences dans le cadre d’un groupe social.
– Valeurs associées : le respect de soi, l’ambition, avoir de l’influence, l’intelligence, la réussite, la compétence, la reconnaissance sociale.

5) Le pouvoir
– Définition : quête d’un statut social, de prestige, de contrôle ou de domination des autres.
– Valeurs associées : le pouvoir social, la fortune, la reconnaissance sociale, avoir de l’autorité, avoir de l’influence, préserver son image publique.

6) La sécurité
– Définition : quête de sécurité, d’harmonie et de stabilité dans la société.
– Valeurs associées : le sens de l’appartenance, l’ordre social, la sécurité nationale, la sécurité de la famille, l’échange de services, la modération, la santé, la propreté, préserver son image publique, la reconnaissance sociale, l’harmonie intérieure.

7) La conformité
– Définition : contrôle de soi pour ne pas aller contre les normes et les attentes sociales
– Valeurs associées : la politesse, l’autodiscipline, l’obéissance, le respect des aînés, l’humilité, la loyauté, être responsable, la propreté.

8) La tradition
– Définition : respect des idées et des coutumes imposées par la culture ou la religion.
– Valeurs associées : le respect des traditions, l’humilité, le respect des aînés, l’acceptation de son sort, la modération, la dévotion.

9) La spiritualité
– Définition : donner un sens à la vie et parvenir à l’harmonie intérieure en transcendant la réalité quotidienne.
– Valeurs associées: La vie spirituelle, un sens à la vie, l’harmonie intérieure, le détachement, l’acceptation de son sort, la dévotion, l’harmonie avec la nature.

10) La bienveillance envers autrui
– Définition : désir de préserver et/ou d’améliorer le bien-être de ses proches.
– Valeurs associées : l’amour profond, l’amitié authentique, la loyauté, l’honnêteté, la serviabilité, la responsabilité, le pardon.

11) L’universalité
– Définition : comprendre, d’apprécier, de tolérer et de protéger le bien-être de tous les hommes et de la nature.
– Valeurs associées : l’égalité entre les hommes, un monde en paix, l’harmonie avec la nature, la beauté, la justice sociale, l’ouverture d’esprit, la protection de l’environnement, l’harmonie intérieure, un sens à la vie, l’amour profond, l’intelligence, la sagesse.

QUELLES SONT LES CONDITIONS DE LA MOTIVATION ?

Nous avons vu que la motivation ne peut s’imposer de l’extérieur, toutefois, le manager doit créer les conditions propices à l’émergence de la motivation intrinsèque chez ses collaborateurs.

1er principe : mettre en place un cadre qui permet sécurité et liberté.

Nous possédons tous un désir de maîtriser les situations (les résultats, les modes d’exécution des tâches, les imprévus, le temps, ses émotions, son personnel, …). D’un point de vue psychologique, cela risque d’entraîner chez les collaborateurs une absence d’initiative et l’impossibilité de projeter ses fantasmes, une équipe passive ou explosive. Cette attitude du manager s’appuie sur un fantasme de toute puissance.
Par ailleurs et à l’inverse, on porte tous en nous un désir de situation sans limite, une envie de liberté qui nous donne l’impression de toute puissance. Or, cette liberté apparente est illusoire. En effet, dès lors que le cadre (la structure) est absent, flou ou incohérent, on voit surgir un foisonnement de fantasmes, de représentations et en même temps une angoisse terrible comme si l’imaginaire débordait. Et quand l’imaginaire déborde, cela confine à la folie. Plus aucun contrôle n’est possible et les personnes sont envahies par leur imaginaire sans limite.
Or, le manager doit poser des limites, instituer un cadre de travail et des règles du jeu et dans le même temps accepter de ne pas tout maîtriser sous peine de se retrouver face à une équipe bridée dans son imaginaire donc dépourvue de motivation.
Toute la question est alors de se demander : comment créer un cadre suffisamment solide pour qu’il y ait de la sécurité mais aussi de la liberté à l’intérieur pour pouvoir créer.

2ème principe : s’appuyer sur l’intérêt

Ce que l’on demande aux collaborateurs de faire doit avoir un rapport avec ce qu’ils aiment pour permettre le fantasme. Le travail donné doit permettre une part d’initiative, de choix, de fantasme par rapport à l’intérêt personnel de chacun. Or, il n’y a pas de tâches, de missions ou de projets universellement motivants. On ne peut pas motiver ses collaborateurs. C’est un fantasme. La seule chose que le manager peut et doit faire, c’est mettre en place les conditions pour permettre à certains de se motiver. Il n’y a que soi qui peut se motiver.

3ème principe : définir un objectif commun

On peut essayer de mettre en place un cadre commun, un objectif commun au groupe, ce qui introduit un investissement supplémentaire acceptable pour un certain nombre de collaborateurs : faire partie du groupe, appartenir au groupe. Mettre, par exemple, en place des travaux collectifs.

4ème principe : Avoir recours à l’imaginaire

Utiliser des techniques de créativité, faire appel à l’analogie, faire émerger les représentations, accueillir l’expression des émotions, travailler sur un mode ludique, … facilite l’investissement de certains collaborateurs. Pourquoi est-ce motivant ? Parce qu’alors, on dispose d’un espace-temps dans lequel l’imaginaire a de la place et chacun pourra y déposer une part de son imaginaire.

5ème principe : Miser sur le collectif

Le fait de travailler en groupe est quelque chose qui aide également à s’investir. Le travail de groupe fait intervenir un deuxième étage : l’imaginaire groupal. Quand on est dans un groupe, il y a l’imaginaire de chaque personne et ces imaginaires vont entrer en résonance pour former un imaginaire groupal plus ou moins entraînant pour le groupe. L’atmosphère, l’ambiance, c’est un imaginaire groupal qui favorise ou défavorise le travail. Dans les équipes rationnelles, l’objectif du manager est d’introduire des petits cailloux pour casser cette rationalité, y mettre de l’affectif de façon à rétablir la boucle rationnel/imaginaire et la remettre en route.
Dans les équipes affectives, le rôle du manager est d’introduire de la théorie, de mettre des règles.
Il faut donc en permanence que le manager ajuste l’interaction avec son équipe pour rétablir la boucle qui permet la motivation : un cadre dans lequel circule l’imaginaire.

Pour conclure, je dirais qu’il est nécessaire pour les managers de perdre l’illusion selon laquelle ils pourraient contrôler la motivation de ses collaborateurs. De surcroît, la connaissance des processus motivationnels doit s’accompagner d’une posture, certes courageuse, de résistance (pas forcément dans l’opposition, mais plutôt dans le cadre d’un dialogue persuasif et pédagogique) pour ne pas se retrouver coincé par une demande de sa propre hiérarchie, qui soit impossible à satisfaire et qui renvoie le manager à sa propre impuissance, source de culpabilité et de stress.
Il est préférable de les prendre comme ils sont et là où ils en sont et de créer des circonstances, des cadres de travail dans lesquels ils peuvent se motiver eux-mêmes, tout en sachant qu’ils ne se motiveront pas tous.

Mariette Strub

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