En quoi, l’art moderne en général et l’art brut en particulier peuvent-ils nous éclairer sur la construction et le développement de la personne ?

1- L’art brut et l’art moderne

Dubuffet a révélé au public l’art brut en 1947.
Pour lui, l’art brut, ce sont « … des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, … leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond …»
L’auteur de ces ouvrages opère d’une façon « toute pure, brute, réinventée, … à partir seulement de ses propres impulsions.»
Le désir s’exprime donc librement. Il y a levée des inhibitions fantasmatiques, somatiques et libidinales.
Selon Dubuffet, « …n’importe qui, sans aucune connaissance ni habileté spéciale, … (ni) prétendues dispositions natives, peut s’adonner à l’art avec toutes chances de réussite. Il lui faudra seulement qu’il découvre les moyens de s’exprimer qui lui conviennent, qui lui permettent d’extérioriser ses humeurs sans en rien fausser, c’est cela qui est difficile ! »

L’art brut se situe du côté de l’informe, du fluide, de l’indéterminé, du chaotique. Il permet de plonger au plus profond de soi et au plus près du processus de création.
Il se veut :

– hors institution (social)
– hors convention (esthétique)
– hors moyens (académique)

Kandinsky disait, quant à lui, « Le « beau intérieur » est celui vers lequel nous pousse une nécessité intérieure lorsqu’on a renoncé aux formes conventionnelles du Beau.»

Dubuffet a également lutté contre la standardisation de la pensée qui, selon lui, fait obstacle à la création et à l’expression individuelle. Il pensait que l’art brut ne devait pas être un art de complaisance qui satisferait aux effets de mode pour plaire au plus grand nombre.

Aujourd’hui, l’art brut est devenu une composante de l’art moderne :

– On s’intéresse alors à l’acteur-créateur. Ce qui est central c’est la dynamique personnelle du sujet. L’art est considéré comme un appel à agir, à faire, un passage à l’acte. Et, cette idée nous renvoie à nous-même, au sujet, début et fin de toute chose. Dans le faire, on résout des problèmes et cette résolution fait que l’on grandit. On ne vise plus le résultat mais on valorise le processus qui s’accomplit dans l’acte. De plus, le processus de l’œuvre n’est pas achevé. C’est le spectateur qui va participer à son achèvement.

– On n’est plus exclusivement dans la forme et dans la pensée comme dans l’esthétisme classique, mais dans l’émotionnel, le sensoriel et l’intensité. On ressent sans mettre en mot. On n’est plus dans la pensée. C’est pourquoi, l’art moderne va cristalliser l’interrogation suivante : comment gérer la contradiction entre pensée (abstrait, représentation mentale, idée, mot) et intuition (concret, émotion, réalisation d’un ouvrage) ?
Comme le disait Baudelaire, l’art « c’est (de) créer une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui-même.»

– L’art moderne va également se doter de nouvelles valeurs : spontanéité, innocence retrouvée et voyance (l’art comme intercesseur entre le monde terrestre et le monde céleste).
« La force créatrice échappe à toute dénomination, elle reste en dernière analyse un mystère indicible.» Klee

– Le rapport au temps va aussi changer. On est dans l’exploration. Le temps est celui du geste lui-même et renvoie au vivant pensé et agi (l’artiste). C’est un temps en devenir.
Ce qui compte, c’est autant ce qu’on voit (l’œuvre ou l’ouvrage) que les conditions dans lesquelles on le voit.

2- Le développement de la personne

Devenir adulte est un processus de maturation long et parfois sinueux :
– L’être humain est, avant tout, un être de désirs et de pulsions guidé par le principe de plaisir, tel que défini par Freud.
– Puis, petit à petit, le langage et l’affectivité vont se mettre en place et notre compréhension du monde va passer par la pensée et la mise en mots. Or, comme le disait Dubuffet, « définir une chose – or c’est déjà l’isoler – c’est l’abîmer beaucoup. C’est la tuer presque. Il y a dans les choses une continuité. »
– Pour grandir, nous devons également nous poser des limites, c’est-à-dire auto-frustrer nos désirs, en intériorisant les valeurs parentales et sociétales, sans pour autant se stériliser.
– Enfin, le regard de l’autre joue un rôle prépondérant. C’est lui qui fait que nous sommes ce que nous sommes.

Ces différentes étapes nécessaires à notre construction nous éloigne parfois de notre « beauté intérieure » pour reprendre le terme de Kandinsky. En s’inspirant des réflexions posées par l’art brut et l’art moderne, on peut ébaucher quelques pistes de réflexion visant à se retrouver soi-même dans sa vérité et à s’accomplir :

– Se dire que l’épanouissement personnel est à la portée de tous,
– Etre mû par une « nécessité intérieure »,
– Devenir acteur de sa vie, se mettre en mouvement,
– Profiter de toutes les expériences qui nous sont proposées pour apprendre, se comprendre et grandir,
– Oser poser des actes sans s’attacher et sans présupposer du résultat, c’est-à-dire sans attente ; ce qui compte avant tout c’est le chemin que l’on emprunte et les enseignements que l’on va en tirer,
– Trouver les moyens, les méthodes, les personnes, … qui nous conviennent et qui peuvent nous aider dans notre parcours,
– S’affranchir du regard de l’autre, des normes et des conventions,
– Faire confiance à ses intuitions et saisir les signes et opportunités qui se présentent,
– Renouer avec ses désirs profonds, ses sensations, ses émotions sans se plonger dedans et sans être dirigé par elles,
– Etre patient et accepter ce qui nous arrive comme une bénédiction pour pouvoir en tirer profit.

Considérer la Terre comme laboratoire de vie !

Mariette Strub

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